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Etude « Naître » : mieux venir au monde lorsqu’on est en situation de précarité

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Elle mérite cependant d’être posée d’après le Professeur Marc Bardou, médecin responsable du module Purithématique du Centre d’Investigation Clinique du CHU de Dijon et chercheur à l’université de Bourgogne. Il coordonne avec son équipe l’étude NAÃŽTRE, qui a débuté en juin 2016. Interdisciplinaire, le projet repose sur l’expertise de chercheurs en médecine, économie et sciences humaines. Des compétences pointues et complémentaires tournées vers un seul but : l’amélioration de la santé des futures mamans et de leurs bébés.

Des études françaises montrent que les femmes enceintes couvertes par la Couverture Maladie Universelle (CMU) ou l’Aide Médicale d’Etat (AME) renoncent plus que les autres à avoir recours au système de santé. En effet, la précarité engendre des renoncements aux soins, soit par refus, soit par effet de « barrière » (il faut trouver le temps d’aller à l’hôpital, faire garder les enfants, etc).

Ce constat est partagé par les nombreux professionnels. Or, une absence de suivi peut avoir des conséquences pour la mère et l’enfant, parfois graves, et génère des coûts importants pour la société. Alors, comment convaincre les patientes de se rendre plus régulièrement aux consultations de suivi de grossesse ?

Marc BARDOULa genèse du projet

Comme beaucoup de chercheurs, le Pr. Marc Bardou réfléchit en permanence à ses projets de recherche et reste l’affût de nouvelles idées : « La recherche ne se fait pas seulement pendant les heures de bureau ! » sourit-il. Un matin, il entend à la radio Esther Duflo, économiste française mondialement connue pour ses travaux en économie du développement, présenter ses travaux de recherche. Elle mène des expériences destinées à apporter des connaissances pour mieux lutter contre la pauvreté, et utilise parfois des incitations économiques auprès de certaines personnes dont elle compare ensuite les comportements à ceux de groupes « témoins ».

A priori, aucun rapport entre la gynécologie-obstétrique et l’économie du développement. Sauf que l’idée fait son chemin dans la tête du chercheur. « Et si, s’interroge-t-il, nous pouvions inciter les patientes en situation de précarité à se rendre aux consultations médicales en leur donnant un peu d’argent ? Pourrait-on améliorer l’état de santé de la future maman et du bébé ? ». Marc Bardou décide de contacter Esther Duflo pour en discuter, elle lui répond et la réflexion s’engage. Les expériences d’incitation économique pourraient être transposées pour la première fois en France au domaine de la santé.

L’étude clinique « NAÃŽTRE »

Le projet rencontre alors de nombreuses résistances parmi les soignants devant s’y impliquer : « Pourquoi donner de l’argent à des personnes qui ont déjà accès à des soins gratuits ? » « Ne risque-t-on pas de nous reprocher d’ « acheter » les patientes, ou de les stigmatiser davantage ? », « L’argent ainsi dépensé ne pourrait-il pas servir à embaucher du personnel médical ? » Le Pr. Marc Bardou dialogue, affine le projet… et finit par convaincre certains sceptiques, qui reconnaissent que la question mérite d’être posée. Mais chez d’autres, les résistances persistent, parfois très vivement.

Il est ainsi proposé à certaines femmes enceintes en situation de précarité de recevoir 30 euros dès la deuxième consultation programmée. Certains critères de santé, appelés critères de « morbi-mortalités » (prématurité, infections…) seront comparés à la fin de l’étude à ceux d’un groupe témoin. Par ailleurs, des économistes et des statisticiens, comme Bruno Crepon, collègue d’Esther Duflo, chercheur au Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST) et au sein de la branche Européenne du laboratoire d’action contre la pauvreté (J-PAL), ou Anne Claire Bertaux du CHU Dijon Bourgogne, sont associés à l’étude pour savoir « à quel coût seraient évitées les complications de la grossesse ».

Pour savoir comment est perçue une telle incitation économique et évaluer ses effets, tant par les bénéficiaires que par les professionnels de santé, des chercheurs en sciences humaines et éthique médicale, notamment Aurélie Marceau de l’Espace de Réflexion Ethique de Bourgogne Franche-Comté, ont été impliqués dès la conception de l’étude.
Interdisciplinaire, l’étude se décline ainsi en trois volets : médical, médico-économique et éthique.

Quel déroulement, quels espoirs ?

L’étude a démarré en juin 2016. Dix CHU y participent en France, l’objectif étant d’étendre les centres participants à environ 40 maternités au total. La majorité des grossesses se passant bien, le nombre de patientes à inclure pour mettre en évidence une différence, significative au plan statistique, sur la proportion de grossesses compliquées est important : idéalement, il conviendrait de faire participer 4000 patientes, 2000 dans chaque groupe. En outre, les bébés étant suivis jusqu’à un an après la naissance, l’étude se prolongera jusqu’en 2019.

Le Pr. Bardou « ne part pas du postulat que ça va marcher », mais « est convaincu que l’hypothèse de recherche mérite d’être testée ». Il espère tout d’abord obtenir des résultats scientifiques solides à l’issue de ces investigations. S’il était démontré que l’incitation économique permet d’améliorer la santé des femmes en situation de précarité et de leurs bébés, son « job » de chercheur serait alors de rendre publiques ces informations auprès des soignants, du grand public mais aussi des décideurs afin qu’ils puissent s’en emparer pour orienter certaines politiques publiques de santé.

D’ici là, le Professeur Bardou, l’esprit toujours en éveil, aura peut-être réfléchi à la suite scientifique à donner à cette étude, qui n’avait jamais été réalisée auparavant…

Juliette BREY-XAMBEU

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