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Thomas Bouchet : « j’ai dû m’aventurer sur des terrains peu documentés »

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« Socialismes et sensualité » est un titre plutôt surprenant. On ne s’attend pas à voir ces deux mots côte à côte. Pour quelles raisons avez-vous décidé de mener des recherches sur ce sujet ?

T.B. : Je travaille depuis longtemps sur divers aspects de la contestation politique et sociale, par exemple l’insurrection ou bien l’insulte. Dans ce cadre, mon intérêt s’est naturellement porté sur les socialismes français puisque, depuis le début du XIXe siècle, ils ont le plus souvent contesté l’ordre établi. On sait qu’ils ont dénoncé l’oppression économique, politique et sociale, et qu’ils ont proposé d’autres modèles. Je me suis demandé si leurs discours et leurs pratiques d’émancipation en société ont aussi porté sur une question moins classique : celle des mœurs, du rapport aux corps, de la vie sensuelle. Comme il n’existait pas de synthèse sur cette vaste question à propos de la France (c’est l’échelle que j’ai adoptée), j’ai souvent dû m’aventurer sur des terrains peu documentés. C’est pour cette raison que j’ai donné à ce livre la forme d’un essai : il ne débouche pas sur des conclusions définitives mais il invite à des discussions – et bien entendu à des critiques –, à des approfondissements.

Qu’avez-vous cherché à démontrer dans cet ouvrage ?

T.B. : Je n’avais pas d’idée préconçue. J’ai sélectionné trois directions de recherche principales (faire bonne chère, faire l’amour, faire la fête) qui m’ont permis de repérer un très grand nombre de prises de position socialistes sur la sensualité. Ces prises de position révèlent à mon avis des visions du monde diverses, voire contradictoires, et elles invitent dans certains cas à écrire différemment certains aspects de l’histoire des socialismes. Des lignes de tension originales se dessinent, souvent entre les familles socialistes, parfois à l’intérieur d’une même famille, parfois dans le parcours d’un seul et même individu. Cette question de la sensualité est d’après moi beaucoup plus décisive en réalité qu’en apparence. Elle renvoie à des thématiques centrales (le travail, la place des femmes dans la société, l’ordre et le désordre, l’exercice du pouvoir…), à des moments-clé (la Deuxième République, la Commune, le Front Populaire, les années 1968…) Elle mobilise des figures majeures, connues ou moins connues : de Charles Fourier à François Mitterrand en passant par Claire Démar, Pierre-Joseph Proudhon, Léon Blum, Madeleine Pelletier, Maurice Thorez, Daniel Guérin et beaucoup d’autres. Elle se cristallise aussi sur des pratiques parfois inattendues telles la danse ou la consommation du tabac…

Avez-vous noté des différences remarquables entre les différents bords politiques ?

T.B. : J’ai consacré mon enquête aux socialismes au sens large puisque j’ai inclus des versions communistes et anarchistes de ces socialismes. En revanche, je n’ai fait qu’effleurer les autres sensibilités politiques et sociales, qui se trouvaient hors de mon champ d’étude. A l’intérieur des univers socialistes, il me semble que beaucoup d’options se dessinent entre deux postures extrêmes : un puritanisme militant hostile à toute forme de sensualité et un engagement pour une émancipation complète (y compris donc sensuelle). Autrement dit, entre des socialismes frugaux et des socialismes gourmands, ou encore entre des socialismes sacrificiels et des socialismes festifs. En règle générale c’est la tentation puritaine, frugale et sacrificielle qui domine. Tout au long de ce travail, j’ai aussi été frappé par la vitalité doctrinale et militante des socialismes des XIXe et XXe siècles. Ils s’appuient sur de riches visions de l’homme et du monde : épicurienne, chrétienne, matérialiste, libertine, marxiste, freudienne, etc. Ils ne cessent de les reformuler et de les réinventer. Il me semble qu’actuellement, cette vitalité s’est en bonne partie perdue – mais il faudrait davantage de recul pour analyser en profondeur notre présent.

Quels points allez-vous aborder lors de l’émission « le microscope et la blouse » qui vous est consacrée ?

T.B. : Je ne sais pas dans quelles directions Lionel Maillot et Eric Heilmann vont orienter la discussion… et c’est très bien ainsi !

Thomas Bouchet : Les Fruits défendus, socialismes et sensualité du XIXe siècle à nos jours, Stock, 2014.
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